Glaciation
Sortir ce blog de l’engourdissement des longs mois de l’hiver et d’un printemps spécialement escarpé n’est pas une mince affaire. Revenir sur cette hibernation prolongée sous le soleil de plomb de juillet, est-ce bien raisonnable ? C’est qu’on en a accumulé des éclats de lumière ou d’obscurité pendant ces journées de plus en plus longues… Autant s’y atteler avant de s’abandonner – à nouveau – à la torpeur de l’été.
À l’origine, la dimension saisonnière de cette série était toute formelle, une ruse destinée à tromper la paresse et instaurer une périodicité comme une contrainte discrète (et au passage, un prétexte pour prêter attention aux détails plus ou moins intimistes, aux forêts petites et grandes). À l’évidence, la paresse en question ne se laisse pas avoir par d’aussi grossières machinations, mais, conséquence imprévue, mon organisme semble s’aligner avec de plus en plus d’acuité sur le cycle des saisons. Le ralentissement généralisé de l’hiver a été redoublé de la torpeur aquatique des maladies chroniques, d’un silence chimique ouaté ; le printemps a joué les bouclages de boucles et de cycles serpentesques avec une vigueur redoublée. De quoi donner à méditer sur l’Éternel retour, les métamorphoses qui revêtent les corps de formes nouvelles et tutti quanti ; tant à absorber avec la voracité qu’il se doit…
Je garde pour moi conclusions vaguement tirées, plaies mal suturées et conversations providentielles, mais je rends chacun des galets lisses, éclats de cristaux ou cailloux marbrés trouvés le long du chemin, notamment là-bas :
I
Le meilleur des tours de passe-passe, c’est celui qui consiste à matérialiser les désirs. À défaut de se réaventurer du côté de la magie du chaos, voilà un article passionnant sur les ex-voto, deux manières finalement pas si éloignées de le faire. Pour les travaux pratiques, direction la Bretagne, autour de la spectaculaire tombe à Lénard, entraperçue chez La Lune Mauve. Et puis on ne s’éloigne ni de la magie, ni du désir avec deux séries ARTE Radio particulièrement bien ficelées et superbement réalisées, comme d’habitude : Fabienne Laumonier bataille avec son psoriasis à coup de marabouts, d’ayahuasca et de bave d’escargot ici, et Claire Richard nous éclaire sur les chemins de désir là.
IIII
Le style de Marguerite Yourcenar est fin et clair comme le marbre, surtout quand elle s’attaque à l’empereur Hadrien ; c’est un refuge de choix pour passer l’hiver ou les soirées de canicule. À défaut de se replonger dans sa sombre et lumineuse Œuvre au noir, notre compagnon d’insomnie favori Jean Claude Ameisen en lit de longs extraits dans cet épisode de Sur les épaules de Darwin, où il est question d’alchimie et de Harry Potter (!). Si c’est plutôt la fibre antique qui vous intéresse, Marie Cosnay est comme d’habitude une guide de choix sur France Culture.
VIIII
Dans un registre moins cocooning, l’exposition du grand David Lynch Someone is in my House a certes dû détruire l’espoir de faire tranquillement l’ermite chez soi en toute sérénité à bien des visiteurs, mais ça en valait la peine : la créativité coruscante de Lynch est à chaque fois un bonheur à contempler. Pour quelques sueurs froides supplémentaires, jetez un coup d’œil à l’inquiétante étrangeté de syc_o_more…
X
La roue tourne ! L’incarnation moderne de Némésis, j’ai nommé Lingua Ignota, vient de sortir un Caligula sacrément bien envoyé. Autres lèvres enflammées, Full Upon Her Burning Lips de Earth nous promène quant à lui en terrain connu, dans le jardin des sorcières…
XI
« Annie Le Brun disait que Sade était un homme qui ramenait le rapport du corps à l’esprit à sa dimension de catastrophe naturelle. Sapienza, c’est à peu près ça aussi… » : forces vives sur France Culture sous la forme de notre aimée Goliarda Sapienza (ici et là). La revue Ballast lui a d’ailleurs consacré un long article qu’elle n’a pas volé… tout comme Mona Chollet qui, il y a plus de dix ans, déjà touchait le jackpot en réunissant Goliarda, Agnès Varda et les sorcières en un seul article !
XII
Envie de changer de perspective, voire de tout mettre cul par dessus tête ? Sur France Culture encore et toujours, on sort de soi, tout simplement ! Au programme, sorties de corps et synesthésies. Fascinant. Sinon, il y a toujours la fuite : sur France Culture aussi, on s’échappe du réel en compagnie de Gérard de Nerval, escape artist s’il en fut (toute la série sur le romantisme est très bien, d’ailleurs).
XIII
Qui dit cycle dit mort-renaissance, évidemment, et pierres tombales qui s’accumulent. Alors autant y plonger pour de bon : Hicham-Stéphane Afeissa nous parle de l’esthétique de la charogne ici, et rappelle s’il le fallait que la mort est la maîtresse de toute création. Si ce n’est pas assez, la biographie de Georges Bataille par Michel Surya (dont le sous-titre est « la mort à l’œuvre », tout un programme) devrait vous donner du grain à moudre. C’est un pavé assez intimidant, mais il se dévore comme un roman.
XV
… Pour continuer sur Georges Bataille, ses descendants métalliques s’en sont donné à cœur joie ces derniers mois : L’acéphale d’abord, qui comme d’habitude le cite dans les grandes largeurs dans son dernier album, et Deathspell Omega ensuite, qui non content d’avoir sorti une trilogie mémorable dans les années 2005-2010 et de le citer extensivement aussi (« Diabolus Absconditus » est constitué de longs passages de Madame Edwarda), a trouvé le moyen de créer un The Furnaces Of Palingenesia stupéfiant, et d’enfin donner (pas à moi, trois fois hélas) une interview pour fêter ça. Nous avons aussi eu droit à un Kriegsmachine apocalyptique, à une résurrection celticfrostienne très plaisante de Darkthrone, à un retour en demi-teinte de Misþyrming, et même à un nouveau projet de Gaahl, qui m’enchante plus en interview que sur disque, pour ne rien vous cacher. Bref, le diable n’a pas chômé ; on l’en remercie.
XVI
Pas chrétienne pour un sou donc, j’ai malgré tout vécu mon lot d’échappées et de révélations pour le moins incarnées dans des églises parisiennes, dont Notre-Dame évidemment. Vite émue par les feux de forêts, je me suis tordu les mains devant son écroulement façon Maison Dieu, et puis, en me rappelant que comme le dit un grand philosophe contemporain, « all beauty must die », je me suis émerveillée devant la splendeur de la destruction.
XVIII
Qu’il pleuve ou qu’il vente, il est toujours temps d’explorer l’autre côté. Hervé Mazurel, dans un numéro de la revue Sensibilités consacré aux rêves, parle de leur dimension sociologique. Avant-goût ici et là. Plus anxiogène : dans la version audio de Jef Klak, des inconnus racontent des cauchemars… Et puis cerise sur le gâteau : Nicolas Bouvier ne se contentait pas d’explorer le vaste monde, il a aussi exploré l’inconscient ici, où réveillé sans trop de ménagement par un scientifique, il lui raconte un rêve… Pour continuer dans l’exploration de l’inconscient et les états de conscience au feuilletage alambiqué, The OA permet de se remettre de la fin de Twin Peaks en douceur : après une première saison relativement linéaire, la deuxième saison, lynchienne et danielewskienne à souhait, laisse augurer du meilleur pour la suite. Et puis dans un genre complètement différent (encore que !), un dernier explorateur inlassable des espaces liminaux, Paul B. Preciado, nous retourne le cerveau ici, ici, et puis là.
XVIIII
Merveille : restes de zoroastrisme et culte de Mithra en Iran lors de la célébration du solstice d’hiver, Shab-e Yalda. Et puis puisqu’on parle de temps qui passe, de longues nuits et de journées courtes, je ne résiste pas à l’envie d’exhumer ce vieil article de Mona Chollet (eh oui, encore elle !), non seulement toujours d’actualité mais même plus indispensable maintenant que jamais.
XXI
Accablés par la chaleur, la pluie, bref, le poids du monde ? Insignifiant, petite série bien foutue d’ARTE, fait relativiser et recentre (ou au contraire, dissout) les choses avec autant d’efficacité que les postures de yoga les plus sophistiquées. Enfin, on respire !
Mountain with eyes, 2009 | Woman obscured by clouds, 2007-2009 | Fire on stage, 2008, lithographies de David Lynch.
Un fantastique nouveau billet, en forme de toile d’araignée, pour mieux arpenter le web… La poésie de tout cela. J’aime beaucoup le côté « paquet surprise » de chaque lien, et surtout je découvre à chaque fois des univers à côté desquels je suis pour l’instant complètement passée… Tirer des fils entre différentes démarches pas ouvertement connectées, voilà un de tes singuliers talents.
Merci pour ce commentaire Marie ! La métaphore du tissage m’est très chère donc il me touche beaucoup. Je me rends compte au passage que j’ai oublié d’inclure ton article sur la tombe à Lénard qui m’avait fait un sacré effet à côté dans la partie I… Argh, je me demande combien passent à la trappe à chaque fois, victimes de mes méthodes de classement pour le moins anarchiques. Pas grave, je vais remettre l’ouvrage sur le métier ! 😉