Hochrot

« Je suis amoureuse du rouge. Je rêve en rouge. Mes cauchemars sont fondés sur le rouge. Le rouge est la couleur de la passion, de la joie. Le rouge est la couleur de tous les voyages qui sont intérieurs, la couleur de la chair cachée, des profondeurs et des recoins de l’inconscient. Avant tout, le rouge est la couleur de la rage et de la violence.

Les cartes sont des rêves : les deux décrivent le désir, où on veut aller, mais jamais la réalité de la destination.

Les souvenirs n’obéissent pas à la loi du temps linéaire.

Lorsque j’ai ouvert les yeux, ma chambre était de la couleur de mon sang. Est-ce que j’étais en train de rêver ? Les plus belles choses, les plus beaux phénomènes que je connaisse sont les rêves. La prise de conscience de la beauté des rêves m’a fait me décider à vouloir comprendre ce qui se passait, quelle était la relation entre chaos et rêve.

Le con de Circé peut invoquer la nuit, le chaos et la mort, que les humains ont nommés “Les forces de l’Enfer”. Le sang est comme des larmes sur la chair de la terre.

À partir de ce moment, à chaque fois que je rêvais, j’appelais ça retourner à la sorcière.

Toute ma vie j’ai rêvé de rêves qui, après le moment initial du rêve, restaient avec moi et persistaient à me dire comment percevoir et envisager tout ce qui m’arrive. Les rêves circulent dans ma peau et dans mes veines, teintant tout ce qui se trouve en dessous.

Si j’avais le choix, je vivrais en rêvant et mourrais en rêve, et ainsi tous les souvenirs du monde se manifesteraient. »

séparationCollage de traductions faites maison d’extraits de My Mother: Demonology de Kathy Acker, 1993 | Twin Peaks, David Lynch/Mark Frost, 1990 | Musick to play in the Dark, 1999

Physionomie du soleil III

« Arrivé sur la place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. À plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine, mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre à la fois comme les bougies que j’avais vues à l’église. Je crus que les temps étaient accomplis, et que nous touchions à la fin du monde annoncée dans l’Apocalypse de saint Jean. Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au-dessus des Tuileries. Je me dis : “— La nuit éternelle commence, et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ?” Je revins par la rue Saint-Honoré, et je plaignais les paysans attardés que je rencontrais. Arrivé vers le Louvre, je marchai jusqu’à la place, et, là, un spectacle étrange m’attendait. À travers des nuages rapidement chassés par le vent, je vis plusieurs lunes qui passaient avec une grande rapidité. Je pensai que la terre était sortie de son orbite et qu’elle errait dans le firmament comme un vaisseau démâté, se rapprochant ou s’éloignant des étoiles qui grandissaient ou diminuaient tour à tour. Pendant deux ou trois heures, je contemplai ce désordre et je finis par me diriger du côté des halles. Les paysans apportaient leurs denrées, et je me disais : “Quel sera leur étonnement en voyant que la nuit se prolonge…” Cependant, les chiens aboyaient çà et là et les coqs chantaient. »

CoronaRadiata

séparationGérard de Nerval (le compagnon rêvé des nuits d’octobre), Aurélia ou le Rêve et la Vie, 1855 | Faux soleil noir et vraie couronne rayonnante | Nine Inch Nails, « Corona Radiata »

 

Montée de sève

« Est-ce pas adorable ?… répétait-il, en la contemplant… C’est tout petit, tout fragile… et c’est toute la nature, pourtant… toute la beauté et toute la force de la nature… Cela renferme le monde… Organisme chétif et impitoyable et qui va jusqu’au bout de son désir !… Ah ! les fleurs ne font pas de sentiment, milady… Elles font l’amour… rien que l’amour… Et elles le font tout le temps et par tous les bouts… Elles ne pensent qu’à ça… Et comme elles ont raison !… Perverses ?… Parce qu’elles obéissent à la loi unique de la Vie, parce qu’elles satisfont à l’unique besoin de la Vie, qui est l’amour ?… Mais regardez donc ! La fleur n’est qu’un sexe, milady… Y a-t-il rien de plus sain, de plus fort, de plus beau qu’un sexe ?… Ces pétales merveilleux… ces soies, ces velours… ces douces, souples et caressantes étoffes… ce sont les rideaux de l’alcôve… les draperies de la chambre nuptiale… le lit parfumé où les sexes se joignent… où ils passent leur vie éphémère et immortelle à se pâmer d’amour. Quel exemple admirable pour nous ! […] Voyez, milady !… Un… deux… cinq… dix… vingt… Voyez comme elles sont frémissantes !… Voyez !… Ils se mettent, quelquefois, à vingt mâles pour le spasme d’une seule femelle !… Hé !… hé !… hé !… Quelquefois, c’est le contraire ! […] Et quand elles sont gorgées d’amour, voilà que les rideaux du lit se déchirent… que se dissolvent et tombent les draperies de la chambre… Et les fleurs meurent… parce qu’elles savent bien qu’elles n’ont plus rien à faire… Elles meurent, pour renaître plus tard, et encore, à l’amour!… »

lesgarconssauvages

séparation

Octave Mirbeau, Le jardin des supplices, 1899 | Bertrand Mandico, Les garçons sauvages, 2018

Physionomie du soleil II

« La mer brillante reflétait la demi-lune fine comme une lame. Nica ramait. Le soleil était très proche, nous le rejoindrions bientôt. Brusquement elle s’arrêta de ramer et debout dans la barque, sans parler, le bras tendu, elle nous indiqua à l’horizon la grande tête de Saint Jean Décapité. “Il se noie !” En effet la tête rougie de sang, avec les longs cheveux ensanglantés déjà tirés par l’eau, était sur le point de tomber, coupée : la lune la lui avait coupée. Ce fut un prodige extraordinaire. Nica nous avait emmenées si près que nous pûmes bien voir. “C’est un prodige qui arrive tous les cent, deux cents ans”, et nous y avions assisté. »

Gustave_moreau-the_apparition

séparationGoliarda Sapienza, Lettre ouverte, 1967 | Gustave Moreau, L’Apparition, 1896 | Inselberg, Cantique de Saint Jean Baptiste, 2016

Ultra silvam

« Vite, je veux encore entrer dans la forêt de sapins, puis briser là, modestement. Quelle tendre quiétude nous envahit à l’approche de la lisière d’un bois. À peine as-tu posé le pied dans la salle du temple, dans l’espace solennel du sanctuaire, que tu te vois accueilli par un gracieux silence. Le sol craquette, l’air est plein de chuchotements. C’est à peine si j’ose m’avancer dans la nef verte, craignant de troubler tout ce recueillement, tout ce bien et toute cette beauté. Je retiens mon souffle pour écouter attentivement la voix aimée du compagnon si intègre et si débonnaire. Les sapins sont comme des rois. Ils posent sur moi des regards interrogateurs. Toute pensée est suspendue, toute sensation cesse soudainement et pourtant, chaque pas semble être une pensée, chaque souffle, une émotion. Surgissant de leur retraite, la naissance et la mort, le berceau et le tombeau surgissent juste devant moi. Un frémissement se fait entendre au-dessus de ma tête, et je me représente que la vie et la mort, le commencement et le finir reposent ensemble, amis. À côté du vieillard, il y a l’enfant. Fleurir et faner s’étreignent. L’origine embrasse la continuation. Le commencement et la fin se donnent la main en souriant. Paraître et disparaître ne sont plus qu’un. Dans la forêt tout est compréhensible. Ah, vivre éternellement, mourir éternellement. »

foretdegouvedenuncques

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Robert Walser, Étude d’après nature, 1902 ? | William Degouve de Nuncques, La Forêt, 1896 | Tribulation, Formulas of Death, 2014.

 

Réclames

Les blogs, c’est très bien, mais ce n’est pas toujours l’idéal à lire au coin du feu – ou du radiateur, d’ailleurs. Voilà de vraies pages à tourner, retourner, gribouiller ; des lectures plus ou moins saines auxquelles on s’est peut-être bien mêlées, dans le détail ou dans les grandes largeurs. Et puis si ça ne vous plaît pas, hop, dans l’âtre ! Et ça attisera les flammes, du feu sacré ou d’un autre.

À ma gauche, la première mouture du fanzine Amer, version svelte de la revue finissante éditée par les valeureuses Âmes d’Atala dont on vous touchait un mot ici. Un thème (mouillé !) : la langue. Au programme : « une traduction inédite du premier chapitre d’un roman espingouin des années trente, un voceru corse à travers la langue fleurie d’un enfilanthrope fin-de-race, de la maçonnerie ruskof 1900, un entretien autour de la traduction du groupe punk ricain nofx, des autoportraits languissants en version plus argentique qu’argentine, l’autobiographie américano-russe traduite en français de celui qu’on a surnommé l’Oscar Wilde de Saint-Pétersbourg, un entretien à voix haute autour de l’audiodescription en Belgique, une belle version latine de ce que serait un poème, un précis d’ortografe chatnoiresque et pour finir – ou pour commencer –, les danses viennoises du vice, de l’horreur et de l’extase d’un couple décadent. » Si ça ne vous met pas l’eau à la bouche, nous ne savons pas ce qu’il vous faut. Pour en savoir plus et se le procurer, c’est .

À ma droite – et après une grossesse éléphantesque –, un nouveau-né : le fanzine Délétère, bricolé à huit mains avec quatre bouts de ficelles, ici et ailleurs. Dans ses pages fraîches et joufflues : changements d’états ! On y trouve sorcières, serpents d’argent, ânes dorés, possédés et déesses, écrivains sous substances, sphinx souriants et alligators avides ; noyades en eaux troubles, miroirs dans la boue, cris et feulements, mélodies sanglantes, danses endiablées et plongées dans les songes. Bref, Délétère chuchote et il hurle. Il rêve beaucoup et prétend à peu. Il dissout, et il coagule. Pour en savoir plus, rendez-vous sur le grand Satan, et pour le commander, écrivez à fanzinedeletere(at)gmail(point)com ou ici-bas ; il est trouvable à Lyon, Paris, et par correspondance.

Fire Walk With Me I

« Ressentir, dans tout son être, un incendie, une chaleur absolue, sentir jaillir en soi des flammes dévorantes, ne plus être qu’éclair et flamboiement – voilà ce que signifie un bain de feu. S’accomplit alors une purification capable d’annuler l’existence même. Les vagues de chaleur et les flammes ne la dévastent-elles pas jusqu’en son noyau, ne rongent-elles pas la vie, ne réduisent-elles pas l’élan, en lui ôtant tout caractère agressif, à une simple aspiration ? Vivre un bain de feu, subir les caprices d’une violente chaleur intérieure – n’est-ce pas atteindre une pureté immatérielle, semblable à une danse des flammes ? La délivrance de la pesanteur grâce à ce bain de feu ne fait-elle pas de la vie une illusion ou un rêve ? »

The Devil's Blood - Fire Burning

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Sur les cimes du désespoir, Emil Cioran, 1934 | The Devil’s Blood, The Thousandfold Epicentre, 2011.

Lytta vesicatoria

« “Je veux une robe couleur de souffrance”, avait-elle déclaré à la couturière stupéfiée. Cette robe incarnait parfaitement l’idée qu’elle avait eue, la cruelle fille ! Sur la jupe de satin vert émeraude, arrachant les yeux, se laçait une cuirasse, mode inconvenant de l’époque, une cuirasse en velours constellé d’un paillon mordoré à multiples reflets ou pourpres ou bleus. Ce corsage était montant et cependant s’ouvrait par une échancrure inattendue entre les deux seins, qu’on s’imaginait plus roses à cause de l’intensité de ce velours vert.

La cuirasse laissait les hanches comme nues, et le long des plis de la jupe, très collante, couraient des branches de feuillage de rosier sans fleurs, criblées de leurs épines. La perverse coquetterie de Mary avait fait explosion avec une assurance frisant la naïveté. Jamais elle ne s’était souciée de ses chiffons avant ce soir-là, et d’un seul effort elle atteignait au sublime.

Ses cheveux tordus derrière la nuque s’ornaient d’une épingle en métal nuancé, pareil aux broderies du corsage. Et la pointe passait, menaçante, tandis qu’un oiseau pourpre, qui semblait traversé, étendait sur la noirceur de ses magnifiques cheveux ses ailes implorantes de pauvre petit tué. La couturière contrariée avait avoué que si c’était original, ce n’était guère de mise pour une jeune fiancée. Mary aimait le vert, il éclairait son teint de brune et donnait à son regard voilé de cils épais un scintillement humide comme les regards de femme en ont au bord de l’eau. Elle n’écouta donc pas les réflexions de celle qu’elle payait pour accomplir des tours de force. Un peu de dentelle blanche atténuait la crudité de l’échancrure près des chairs ; encore cette concession devenait-elle un raffinement de plus, en rappelant, dans les hardiesses du costume, la chasteté orgueilleuse de la vierge.

La traîne fuyait, doublée de neigeuses mousselines rendant plus délié le bas de sa personne svelte, s’effilant en un corps d’insecte miroitant et fabuleux. Tout ce vert était, pour les pauvres yeux fatigués du docteur Barbe, comme une décharge électrique. »

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La Marquise de Sade, Rachilde, 1887.

 

Le choix du noir

« J’ai peur de quelque chose… Une espèce de trou noir, plus horrible que tout ce que j’ai surmonté… Et ce trou noir – c’est moi, moi tout entière… Et puis ce fantôme blanc, cette espèce de mollusque, pour moi plus noir encore que tout le reste.. Ah, ah, je ne suis que haine noire, éternelle. Ce n’est pas ainsi que je vaincrai.. J’aime ; mais mon amour n’est qu’un îlot dans la mer de ma haine. J’ai ma volonté ; mais, souveraine en exil, elle fait les quatre cents volontés de mes noirs instincts. Je suis noire. Voilà pourquoi mon fantôme est blanc ; pourquoi la lumière est à mes yeux – un fantôme.. »

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Ladislav Klíma, Les Souffrances du prince Sternenhoch, 1928 | Kali la noire dans le style Kalighat, XIXe siècle | Dissection, Reinkaos, 2006.

Physionomie du soleil I

« La nuit était tombée, sans qu’il pût savoir si c’était en lui ou dans la chambre : tout était nuit. La nuit aussi bougeait : les ténèbres s’écartaient pour faire place à d’autres, abîme sur abîme, épaisseur sombre sur épaisseur sombre. Mais ce noir différent de celui qu’on voit par les yeux frémissait de couleurs issues pour ainsi dire de ce qui était leur absence : le noir tournait au vert livide, puis au blanc pur ; le blanc pâle se transmutait en or rouge sans que cessât pourtant l’originelle noirceur, tout comme les feux des astres et l’aurore boréale tressaillent dans ce qui est quand même la nuit noire. Un instant qui lui sembla éternel, un globe écarlate palpita en lui ou en dehors de lui, saigna sur la mer. Comme le soleil d’été dans les régions polaires, la sphère éclatante parut hésiter, prête à descendre d’un degré vers le nadir, puis, d’un sursaut imperceptible, remonta vers le zénith, se résorba enfin dans un jour aveuglant qui était en même temps la nuit. »

La mort dans toute son ineffable grandeur


Marguerite Yourcenar, L’œuvre au noir, 1968 | Gnaw Their Tongues, L’arrivée de la terne mort triomphante, 2010.