Floraisons choisies
« So that a man may die of a rose in aromatic pain... »
Les bourgeonnements du printemps sont loin derrière nous. Le solstice passé, tout s’épanouit désormais comme un fruit un peu trop mur. La nature brille joyeusement sous les feux de la décomposition qui, discrètement, commence déjà son œuvre patiente. L’arrivée de l’été ne nous réjouit guère (notre nature nous incline vers les périodes transitoires) ; raison de plus pour se remémorer comme il se doit les floraisons du printemps.
Le fait d’avoir planté des racines un peu partout ne nous a pas empêchées de rater l’éclosion des iris du Jardin des Plantes, l’odeur capiteuse des roses de la Tête d’or sous les giboulées de mars, les fraises d’un jardin d’enfance ou l’opulence tropicale des serres royales de Bruxelles. Mais ça nous a permis de ne pas les manquer complètement pour autant – si chaque jour est un arbre qui tombe, chaque départ est une sorte de bouturage, et l’occasion de se démultiplier dans de nouveaux espaces-temps à collectionner comme autant fleurs sauvages dans un herbier. On n’est jamais vraiment sûrs de revoir un printemps ; raison de plus pour mettre tout le soin du monde à herboriser.
Voici quelques germes de ces derniers mois, trouvés ici et surtout là-bas :
I
La saison des bourgeonnements, donc : Fève fait son jardin et dans un tour de prestidigitation, ses lignes tortueuses se dévoilent enfin aux yeux de tous.
II
Une lecture qui augure de la canicule : Sombre printemps d’Unica Zürn, que nous connaissions surtout pour sa (formidable) œuvre graphique. Les feux ténébreux de l’éveil du désir, à avaler en quelques heures crépusculaires.
III
À l’arrière d’une berline confortable, on écoute Jarboe l’Impératrice raconter les frasques d’Attila Csihar. On conjecture qu’elle porte Féminité du bois. On se tait, et on attend l’adoubement. Son EP avec les Italiens de Father Murphy est ici.
VI
Pour la saison des amours, l’érotisme s’annonce débordant, diffus, cosmique, nous dit-on dans cette conférence palpitante. Et on n’a peut-être pas tord – il suffit de voir les Garçons sauvages de Bertrand Mandico pour s’en assurer. D’ailleurs, aurait-on retrouvé leurs ancêtres ? Ici, chez Agnès Giard. Et puisque la température monte d’un cran, feuilletez donc la dernière mouture de la revue Amer, toute en émeutes torrides et aventures déshabillées.
XII
Toute cette excitation, ça vous rend fébrile ? Avant de prendre une petite pilule, jetez un œil à L’âge de l’anesthésie de Laurent de Sutter, qui nous trace un portrait bref et évocateur de ce qu’il appelle narcocapitalisme. Avant-goûts ici et là.
XIII
La mort n’est jamais très loin de la reverdie, pour nous en tout cas. Alors allons-y : retroussons nos manches et potassons le Livre de la Mort d’Édouard Ganche, exploration épouvantée de ce qui nous attend une fois passée l’arme à gauche. C’était pour l’option asticots, pour l’option embaumement, voyez ici. Et puis le printemps, c’est aussi la saison où les fantômes se manifestent, et pas que les nôtres, à l’évidence : les mediums sont chez Carbone, la revue Terrain s’intéresse de près à la question, et on se préoccupe de quelques spectres (dont celui de notre bien-aimée inconnue de la Seine) sur France Culture. Par ailleurs, on s’y perd dans le métro-fantôme parisien…
XV
Rayon diableries – orthodoxes, qui plus est –, Funeral Mist a brusquement sorti Hekatomb. De quoi se détendre et se rafraîchir en cas de chaleur de plomb.
XVI
Autres matérialisations brutales et inespérées : Sleep reprend ses esprits après un long sommeil, Mike Scheidt de Yob revient quasiment d’entre les morts, et par dessus le marché, nous avons été témoin du Son qui s’abat telle la colère divine lors d’une performance incroyable de Boris et Stephen O’Malley. De quoi tout flanquer par terre, et nous faire méditer sur la question.
XVII
Les « terres du ciel » ne sont pas toujours si éthérées qu’on pourrait le croire…
XVIII
… Ce qui ne nous empêche pas de nous préoccuper d’élévation, notamment avec ce texte fascinant de Pacôme Thiellement sur les sorties de corps. Et puis en relisant en boucle l’Aurélia de notre aimé Gérard de Nerval. Cerise sur le gâteau : « Ma vie » de C.G. Jung, description assez fascinante d’une pensée en train de se former.
XVIIII
Puisque l’été pointe son nez, finissons sur quelques éblouissements comme autant de phosphènes. Et si vous craignez de ne pas y voir clair, pensez à votre œil invisible…
Ophélie parmi les fleur (National Gallery, Londres) | Ophélie (Dian Woodner Collection, New York) | Ophélie, la cape bleue sur les eaux (Rijksmuseum, Amsterdam), toutes par Odilon Redon