Discussion avec A.K.
« Nous ne vivons que pour maintenir notre structure biologique,
nous sommes programmés depuis l’œuf fécondé pour cette seule fin,
et toute structure vivante n’a pas d’autre raison d’être que d’être. »
L'éloge de la fuite, Henri Laborit
Le black metal a atteint l’âge adulte. Ce n’était pas couru d’avance – on aurait plus volontiers envisagé une explosion volcanique, une auto-combustion, un coup d’épée dans l’eau, voire un pétard mouillé. Il est tentant de voir dans cette expression plus ou moins bien dégrossie de pulsions (hurlements, trépidations, incendies, assassinats) une force naturelle, celle d’une vague qui accumule de l’énergie puis déferle. Mais peut-être que c’est plutôt un grand corps d’âge mûr, écorché, traversé de secousses, qui s’est un peu embourgeoisé, comme tout le monde passé vingt-cinq ans, mais qui gémit toujours de douleur. Le délitement guette – en sous-genres infinis ou sous l’effet du doux poison de la mode –, les raideurs de l’âge aussi. Mais somme toute, on maintient la structure.
Quelqu’un doit bien être en train de comparer la trajectoire du jazz, du rock, du black metal et d’autres, cette même ligne tendue d’une pulsion primitive et dionysiaque vers une intellectualité paradoxale et parfois glaçante (free jazz, math rock, black metal orthodoxe). Effet inexorable du temps ? Âge de raison ? Force est de constater que pour ce qui nous intéresse – le black metal, donc – le cri inarticulé fait plutôt bon ménage avec la réflexion, le pathos avec le logos. La réflexion ne discipline pas nécessairement le cri, on suppose plutôt une reconnaissance mutuelle, une sorte d’anamnèse où le black metal prend conscience de son fond au choix romantique, tragique, bataillen… Au-delà du Nietzsche plus ou moins bien digéré de ses débuts, il se penche désormais vers Socrate, Bataille donc, et puis Laborit, Cioran, Deleuze et d’autres (1) – ce sont de ces derniers que, sous le prétexte d’une interview pour Radio Metal, nous avons discuté extensivement avec A.K. lors une froide soirée d’octobre, dans une zone industrielle obscure de la banlieue lyonnaise, il y a de cela quelques années.
A.K. joue dans de nombreux groupes, mais c’est son projet solo Decline of the I qui a spécialement piqué notre curiosité : black metal troublé, tortueux ; forme impure où il y a du collage et des emprunts ; voix familières, Maurice Ronet, Pascal Quignard et Françoise Hardy ; Diapsiquir comme jumeau démoniaque. Il prend la forme d’une trilogie, complétée après l’interview, qu’il faut bien se résoudre à qualifier de l’élusif « post-moderne ». Âge de raison : le black metal est désormais capable de parler de lui-même, c’est-à-dire des chants de la mort et de la vie.
Decline of the I – Rebellion
Le feu follet – Louis Malle
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