Là-bas III

Feuilles mortes

l'offrande

Alors qu’on a arrêté de compter les journées blanches qui se succèdent et se ressemblent – la nuit laisse place à la brume, la brume pèse toute la journée, plombée par les tourbières et l’air froid du nord – et qu’on s’y fond, bien installées dans l’hiver, on se souvient des feux de l’automne comme d’une vie antérieure. Nous voudrions vivre dans un éternel octobre, parmi les dorures baroques et le velours rouge des feuilles qui tombent, les premières morsures du froid au matin, les odeurs tendres des champignons, de la décomposition de l’humus mouillé et des feux de cheminée, cuivrées aux feux de ces longs crépuscules qui commencent dès midi. Une agonie flamboyante, qu’on voudrait sans fin. Mourir éternellement, vivre éternellement.

Hélas, novembre a tôt fait de balayer ces instants suspendus et de nous précipiter dans les ténèbres. Faute de pouvoir hiberner, on rêve, cauchemarde, ou garde les yeux écarquillés pendant des heures d’insomnie. Les feuilles mortes de cette année rejoignent les autres et viennent épaissir le matelas moelleux des souvenirs. Les marrons des squares, les miroitements du soleil sur un lac, des heures d’ennui, les kilomètres, perdues dans la forêt, le soleil qui n’en finit pas de se coucher de l’autre côté du Rhône, des nuits d’octobre comme des bacchanales, de longs trajets en train, et une montée au château comme une percée de lumière…

at the seaside

Bref, les feuilles mortes se ramassent à la pelle, comme dirait l’autre. En voici quelques unes, collectées ici et surtout là-bas :

I

Commençons à la croisée des chemins avec l’art de Lia Vé, un et multiple, inquiétant et familier, pur et impur, beau et ricanant, sombre et cornu, sensible toujours.

II

On avait terminé l’été en compagnie des Sorcières de Mona Chollet, qui célébraient la puissance invaincue des femmes – au passage, dans le Berry des années 70 étudié par Jeanne Favret-Saada, la sorcellerie, ce n’était décidément pas rien, mais c’est une autre histoire… – : échos discrets dans le Monde Diplomatique qui lui parle (à ses abonnés seulement hélas) de la puissance insoupçonnée des travailleuses.

III

Lors d’une séance de spéléologie sur le site de France Culture, on a exhumé ce trésor : une heure en compagnie de la grande Vinciane Despret. De quoi se nourrir l’esprit en préparant sa soupe !

IIII

Est-ce qu’il y a mieux que la déflagration d’un concert de Yob et une accolade de l’empereur du doom Mike Scheidt pour réchauffer les cœurs à l’approche de l’hiver ? Sans doute pas.

VI

Compagne de quelques journées de décembre, La chambre de Giovanni de James Baldwin souffle le chaud et le froid le long de la Seine, entre passion dévastatrice et masculinité toxique. Une sorte de critique en creux redoutable de l’hygiénisme et de la rigidité de l’Amérique qui rappelle celle de Henry Miller dans Le colosse de Maroussi (dont vous pouvez lire quelques pages )…

X

Le monde entier devrait lire La femme qui tremble de Siri Hustvedt. C’est aussi simple que cela. De quoi se remplumer avant l’hiver, et comme l’automne, réunir ceux qu’une illusion d’optique présente comme opposés (été et hiver donc, corps et esprit, connu et inconnu, science et littérature).

XII

La dépression saisonnière vous guette ? Attention à ne pas sombrer dans l’abus de substances, que ce soit l’éther ou les autres

XIII

La nature entière semble attiser obsessions et curiosités morbides – bon, c’est vrai, à peine plus que d’habitude en ce qui nous concerne. Mais on est en bonne compagnie : en anglais, cet article passionnant évoque l’obsession de Mary Shelley, dont le sort avait déjà bien occupé notre été, pour les cimetières. Cela dit, ce n’est pas cet article du décidément formidable Retronews qui va nous faire sentir plus en paix avec notre fin imminente…

XVI

Le feu sous la glace (décidément !) ou l’inverse peut-être dans Jef Klak, qui consacre un long papier à Iceberg Slim, écrivain et maquereau légendaire que nous avons lu à un âge impressionnable et qui se révèle plus complexe qu’on pourrait le croire.

XVII

Au moment où les nuits rallongent, autant retourner se coucher. On rêve en compagnie des surréalistes ici, et au Petit Palais, avec Fernand Khnopff, dont quelques œuvres ornent ce modeste billet. Maître du symbolisme célébré par Verhaeren, c’est un plaisir de lui voir une exposition consacrée, toute en visages illisibles et cadres raffinés. Pour en savoir plus, L’art est la matière à votre secours.

XXI

Tout ça ne vous suffit pas à passer la morne saison ? Il vous reste toujours le recours aux forêts, et les baumes de la beauté. Sinon, la fuite et le tout pour le tout : pourquoi pas la Norvège ?

Ou alors, fermer la porte, tout simplement.

i_lock_my_door_upon_myself_fernand_khnopff_1891L’offrande, 1891 | Près de la mer, 1890 | I lock the door upon myself, 1891, Fernand Khnopff.

 

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