Quelques clous sur le cercueil de l’été
« Vers midi, ou à peu près, autant que nous en pûmes juger, notre attention fut attirée de nouveau
par la physionomie du soleil. »
Il est plus que temps d’enterrer l’été. Nous sommes sacrément en retard, oui, mais il faut dire que les feux du soleil ont été longs à s’éteindre, dorant activement jusqu’aux premières semaines d’octobre les feuilles et les esprits alanguis qui déjà, rêvaient de son retour… Pour notre part, si nous avons abandonné avec chagrin les longues soirées d’août, les éclaboussures ensoleillées du matin et du soir, et le contentement des moissons, comme vous le savez déjà, nous n’aimons guère l’été.
Pendant que d’autres se précipitent pour profiter du peu de répit que la vie moderne leur alloue, nous, nous vieillissons, remâchons des angoisses que la stupeur de l’été rend cosmiques, rôtissons à petit feu. Le soleil éblouissant, les bêtes assommées, les fruits mûrs à point, le long déclin des jours frémissent de deux mots : « Viens, fauche ». Elle n’est jamais loin, la Faucheuse, et pas seulement dans les champs ras et l’odeur crépitante du foin coupé. Elle rafraîchit l’atmosphère, certes ; elle dessèche la gorge comme le soleil de midi…
En retard donc, voilà les nôtres, de moissons, trouvées ici et surtout là-bas :
I
Rafraîchissements de choix : frissons de l’angoisse en compagnie de l’escamoteur en chef Dario Argento, et radioscopie de la peur sur France Culture.
II
Le long désert de juillet-août a été encadré par les livraisons désaltérantes de deux papesses, Annie Le Brun qui en juin nous rappelait ce qui n’a pas de prix – dont elle parle avec brio ici et là – et en septembre, Mona Chollet s’attelait aux sorcières – écoutez-la ici.
III
Ce désert, on l’a arpenté en compagnie de la reine Nico, qu’on ne se lasse décidément pas d’écouter.
VI
La température monte de quelques degrés avec la mystique amoureuse et enflammée de Rûmî : « Nous brûlerons la mélancolie et la démence et boiront à chaque instant la vague de sang. Nous sommes les rivaux des buveurs d’enfer ivres, ceux qui déchirent la voûte azurée »… De quoi réchauffer même le marbre…
VIIII
Bande-son idéale au temps qui passe : poèmes saturniens et musique des sphères [via La Lune Mauve].
XI
Vous avez le tempérament orageux ? Pour envoyer deux-trois mandales en compagnie du fantasque Arthur Cravan – écrivain, boxeur, neveu d’Oscar Wilde – c’est ici, puis y réfléchir avec Elsa Dorlin, c’est là, et en lecture intégrale chez Zones une fois de plus.
XII
Envie de voyage et d’aventure, de tout perdre dans l’espoir que tout vous soit rendu ? C’est le moment d’entrer dans les frondaisons de la forêt de Sibérie, de l’amour et de la mort avec ces deux épisodes magnifiques des Pieds sur terre.
XIII
Comme on vous le disait, la Faucheuse poursuit son œuvre même pendant les vacances d’été. C’est aussi la saison des maisons familiales et des cadavres dans le placard. La revue Carbone a donc aptement consacré son numéro 2 aux maisons hantées : on vous recommande notamment cet entretien palpitant avec Philippe Baudoin (Philippe Baudoin que vous pouvez aussi écouter ici avec un exorcisme pas piqué des hannetons).
XV
Oui, oui, il a fait chaleur de fin du monde cette année. Ce n’était pas mieux en 1816, entre climat apocalyptique, poètes enflammés et amants démoniaques : Agnès Giard nous parle de Byron, de Percy et Mary Shelley et de tourments d’enfer et c’est, comme souvent, passionnant.
XVII
Tant qu’à transpirer, cap vers le sud, le soleil plombant et la mer Tyrrhénienne étoilée de reflets où on plonge avec la merveilleuse Goliarda Sapienza, des rues sombres de Catane aux façades éclatantes de Positano. Lisez, puis rejoignez le culte ici.
XVIII
De notre côté, on a évidemment privilégié le frais et la rêverie, les paysages lunaires de l’Ouest de l’Irlande et les plages grises d’Ostende, où on a pu enfin voir en peinture et en toile cet autoportrait glaçant de notre aimé Léon Spilliaert, dont les œuvres inquiétantes illustrent cet article, et les histoires de masques du ricanant James Ensor.
XVIIII
Mais celui que l’on attend chaque juillet, aussi incontournable que le soleil, c’est Marcel Proust, dont la lecture rituelle nous accompagne depuis un nombre d’années qu’il devient inconvenant de mentionner. Cette fois-ci, c’est Le côté de Guermantes qui nous a tenu compagnie pendant de longues semaines. Parades amoureuses rocambolesques, mondanités, affaire Dreyfus et patine subtile du temps qui passe, bref, de quoi passer avec délices de longues heures torrides et oisives. Proust est le grand maître de la mémoire, mais on entend aussi des choses passionnantes à ce sujet dans cet épisode des Épaules de Darwin.
XXI
Et pour finir, la délivrance : « En aucun pays du monde les orages ne sont aussi formidablement élémentaires. La nue éclate en gerbes de phosphore, les océans célestes tombent sur la jungle hurlante, les fleuves jaillissent vers des cimes échevelées, tout rugit, roule, écume, en un tumulte multiplié par les échos de toute part. On ne s’entend plus. Le monde vacille. La terre va s’abîmer dans l’infini. » Ça, c’est Bornéo décrit dans Carnets d’Asie par Gabrielle Wittkop. On retrouve le même genre de pluies torrentielles, de ténèbres et d’éblouissements ici, aux côtés de Pascal Quignard…
Faune au clair de lune, 1900 | Plage au clair de lune, 1908 | Digue la nuit, 1908, Léon Spilliaert