Hochrot

« Je suis amoureuse du rouge. Je rêve en rouge. Mes cauchemars sont fondés sur le rouge. Le rouge est la couleur de la passion, de la joie. Le rouge est la couleur de tous les voyages qui sont intérieurs, la couleur de la chair cachée, des profondeurs et des recoins de l’inconscient. Avant tout, le rouge est la couleur de la rage et de la violence.

Les cartes sont des rêves : les deux décrivent le désir, où on veut aller, mais jamais la réalité de la destination.

Les souvenirs n’obéissent pas à la loi du temps linéaire.

Lorsque j’ai ouvert les yeux, ma chambre était de la couleur de mon sang. Est-ce que j’étais en train de rêver ? Les plus belles choses, les plus beaux phénomènes que je connaisse sont les rêves. La prise de conscience de la beauté des rêves m’a fait me décider à vouloir comprendre ce qui se passait, quelle était la relation entre chaos et rêve.

Le con de Circé peut invoquer la nuit, le chaos et la mort, que les humains ont nommés “Les forces de l’Enfer”. Le sang est comme des larmes sur la chair de la terre.

À partir de ce moment, à chaque fois que je rêvais, j’appelais ça retourner à la sorcière.

Toute ma vie j’ai rêvé de rêves qui, après le moment initial du rêve, restaient avec moi et persistaient à me dire comment percevoir et envisager tout ce qui m’arrive. Les rêves circulent dans ma peau et dans mes veines, teintant tout ce qui se trouve en dessous.

Si j’avais le choix, je vivrais en rêvant et mourrais en rêve, et ainsi tous les souvenirs du monde se manifesteraient. »

séparationCollage de traductions faites maison d’extraits de My Mother: Demonology de Kathy Acker, 1993 | Twin Peaks, David Lynch/Mark Frost, 1990 | Musick to play in the Dark, 1999

Métamorphoses

Discussion avec Jonathan Hultén

(et quelques mots d’Adam Zaars pour faire bonne mesure)
« J’entreprends de chanter les métamorphoses qui ont revêtu les corps de formes nouvelles. » 
Métamorphoses, Ovide
Jonathan Hulten

© Kscope/Soile Siirtola

Parmi les apocalypses d’ampleur, de forme et de texture variées que 2020 vient de nous infliger (ou de nous offrir, selon votre humeur), en voici une minime, toute individuelle, dont les lointains remous sont venus nous titiller les doigts : Jonathan Hultén a quitté Tribulation. Le pourquoi du comment ne nous regarde pas, quand bien même il semble que cela se soit produit pour les meilleures raisons qui soient (intégrité, intuition, créativité), et on peut certes se tordre les mains en pensant aux embûches musicales que vont rencontrer les uns et les autres, mais on peut aussi en profiter pour rendre hommage à un artiste qui se délecte de l’impermanence, un talent particulièrement précieux au vu des circonstances, qu’elles soient personnelles, cosmiques ou collectives.

J’ai vu Tribulation en live à trois ou quatre reprises ; après chacun de ces concerts, il s’est trouvé un parfait inconnu pour venir me demander si – stupéfaction ! – il y avait des filles dans le groupe. Pourquoi m’ont-ils jugée particulièrement compétente pour répondre à cette question ? C’est un mystère que je ne vais pas chercher à éluder aujourd’hui – ni demain, d’ailleurs. Mais si les capacités d’observation et d’audition les plus rudimentaires permettent de répondre que non, il est vrai que Tribulation ne ressemble pas tout à fait à ce à quoi on pourrait s’attendre, ce qui mérite évidemment un peu d’attention.

Car c’est malgré tout par un vagin denté (1), mais oui, que je suis rentrée, comme sans doute pas mal de monde d’ailleurs, dans la discographie du groupe, accompagnée du bourdonnement d’un tampura, cette espèce de sitar qui est appelé ailleurs pandore (coincidence fructueuse, comme on va le voir abondamment ci-dessous). L’album en question, The Formulas of Death, était un bol d’air frais, une réinterprétation singulière des formules du death (metal, ha ! ha !) à grands renforts de circonvolutions presque progressives, de folklore suédois, et d’esthétique fin-de-siècle. Pas sûre que le groupe ait fait mieux depuis : en plus de son charme capiteux (féminin, morbido-mystique et anachronique à la Rêve d’Ossian), les défauts de l’album – ses longueurs, ses indécisions – sont ses plus grandes qualités. C’est un peu comme se perdre dans la forêt ; la création de jeunes musiciens qui cherchent leur formule, semblent la trouver à plusieurs reprises et l’égarent à chaque fois dans les frondaisons touffues de leurs chansons.

Ont suivi deux – bientôt trois – autres albums où les Suédois l’ont trouvée, leur fameuse formule, ce qui a de quoi chagriner, mais il ne faudrait pas bouder son plaisir non plus : la rencontre – pas si improbable qu’on pourrait le croire – entre ce rock gothique joué par des death metalleux et un ésotérisme, des thématiques, et une imagerie décadente très 1900 a toujours de quoi réjouir.

Ces quelques dernières années, j’ai eu l’occasion de discuter à plusieurs reprises avec les deux guitaristes et compositeurs du groupe, Adam Zaars et, plus longuement, Jonathan Hultén. Il se trouve que parallèlement à Tribulation, Hultén écrit des chansons folk elles aussi vaguement anachroniques et résolument réjouissantes, mélancoliques et lumineuses : c’est de ça qu’il va être question dans ce qui suit. D’écarts et de contradictions qui en réalité n’en sont pas, de changements et de métamorphoses, d’altérité, de dualité et de fusion des contraires, de vie et de mort, rien que ça.

Depuis, après un EP au titre mystique à souhait, The Dark Night of the Soul, Hultén a sorti un album solo, Chants from Another Place, et d’ici quelques semaines, on pourra entendre Where the Gloom Becomes Sound, le nouveau disque de Tribulation. Principalement composé par le guitariste, ce sont donc ses adieux au groupe – une petite mort pour d’infinies renaissances. Bref, il était temps de braver les épouvantables mises à jour de WordPress, et d’enfin exhumer ces conversations. Lire la suite

Les Camènes

Retour à Twin Peaks I

« Sur l'onde calme et noire où dorment les étoiles
La blanche Ophélia flotte comme un grand lys,
Flotte très lentement, couchée en ses longs voiles... »
Arthur Rimbaud

Laura Palmer-Fire Walk With Me

Vêtue de blanc, elle a le visage pâle et apaisé. Elle est ligotée pourtant, ses cheveux blonds autour de sa tête sont comme des algues, et, à la dérive, elle émerge à peine des flots. C’est La jeune martyre de Paul Delaroche, que l’on peut voir au musée du Louvre. C’est aussi Laura Palmer, dont le corps sans vie vient d’être découvert dans le premier épisode de Twin Peaks. Cette jeune fille morte a flotté des siècles avant d’échouer sur les rives de ce lac de montagne. En guise d’élégie, retraçons sa route sinueuse, recueillies et voilées de noir, comme il se doit.

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