Je n’avais jamais regardé le soleil se lever. Il y a à Lyon un petit parc qu’on appelle le jardin des curiosités. Il a un nom officiel beaucoup moins romanesque et je préfère celui-ci, qui évoque des jeux d’enfants, des orchidées bizarres, des assemblages hétéroclites. On y accède après une ascension éreintante, mais on peut aussi tricher et y arriver par en haut, en passant par la non moins romanesque rue des Macchabées. Les curiosités, ce sont les déploiements baroques d’une ville vue de haut. Pas de suffisamment haut pour en ressentir un vertige ou une pulsation inquiétante, mais à hauteur de toits, et à perte de vue. On peut voir jusqu’aux Alpes à l’Est, où le soleil monte.
En se levant tôt, on peut assister à cette cérémonie immémoriale : quelques personnes silencieuses sont déjà là, tournées vers la ville, patientes, dans la confidence. Le ciel, plus clair que prévu, bleu et brumeux aux entournures, laisse craindre le pire – à peine quelques nuages orangés sont pris dans les branches squelettiques des arbres – mais pourtant la chose la plus étrange se produit : un croissant tordu, rouge brillant apparaît au milieu du ciel, surgissant des montagnes bleues noyées dans les brumes, et enfle doucement en disque écarlate devant les quelques âmes recueillies. Elles semblent prendre part au plus ancien des rites : l’aurore.
Après, je dévalai les pentes régénérée, avec l’impression brûlante d’avoir pénétré le secret des dieux.
La ville écrase les distances. Quand on ne peut pas arpenter dans ce sens-là, on peut compter sur le temps qui passe. Alors je vais à la piscine du Rhône au crépuscule, en hiver, la saison de l’artifice, quand cette eau stagnante et turquoise ne peut pas avoir l’air plus surnaturelle à côté du fleuve. Pendant mes laborieux aller-retour, lui va parcourir des kilomètres, traverser villes et forêts droit vers le sud.
On avance dans les nuages de vapeurs, entre eau tiède et air froid, avec une lenteur infinie, une application de bonne élève, les mains soigneusement rapprochées en prière, et cinquante mètres par cinquante mètres, on s’enfonce dans la nuit. L’orange qui brûlait derrière Saint Just pâlit : c’est le temps des volutes roses, mauves, beiges, qui évoluent si vite qu’on a l’impression de parcourir des pays entiers, de vastes steppes, des oasis hallucinées, des déserts. Les autres nageurs glissent sans à-coups ; ils ont leur propre voyage. Quand enfin l’obscurité recouvre tout, je me sens épargnée dans ce bleu chaud, blanche et brillante dans la nuit.
Je ressors fourbue, le poids du monde lourd sur les épaules, presque vieillie, avec l’impression de revenir du plus long des périples.